
Publié le 12 juillet 2025
Quand on parle de la Guadeloupe, on pense aux plages, au volcan, à la douceur de vivre. Mais le cœur de notre archipel, son âme véritable, bat au rythme des vagues, dans le sillage de nos barques traditionnelles. Je suis un homme de la mer, un pêcheur saintois. Mon bureau, c’est l’horizon. Mes mains portent les marques des casiers et des lignes, et ma peau est salée par des décennies d’embruns. La pêche à la saintoise, ce n’est pas juste un métier pour nous ; c’est notre héritage, une danse avec l’océan qui se transmet de père en fils. C’est une connaissance intime des courants, des fonds marins, et des secrets que la mer ne livre qu’à ceux qui la respectent.
Cet art de vivre, qui a nourri nos familles et façonné notre culture pendant des siècles, est aujourd’hui sur la corde raide. Entre la raréfaction du poisson, la concurrence et le peu de jeunes qui veulent prendre la relève, on se demande parfois si le son de nos moteurs résonnera encore demain. Cet article n’est pas un simple guide. C’est le témoignage d’un gardien de la tradition, une invitation à comprendre ce qui fait la fierté des Saintes et l’urgence de préserver ce trésor vivant, au même titre que les courses de gommier en Martinique ou le savoir-faire des charpentiers de marine qui façonnent encore nos coques colorées.
Pour ceux qui préfèrent un format condensé, cette vidéo vous embarque au cœur de l’action pour un voyage de pêche authentique en Guadeloupe. Une présentation qui complète parfaitement les récits et les savoir-faire que nous allons détailler.
Cet article est structuré pour vous guider au cœur de notre quotidien. Voici les points clés que nous allons explorer ensemble, pour mieux saisir la richesse et la fragilité de notre monde.
Sommaire : Comprendre l’âme de la pêche traditionnelle aux Saintes
- Casier, filet, ou ligne : quelles techniques ancestrales pour remplir la saintoise ?
- L’avenir de la pêche artisanale : les Saintois peuvent-ils encore espérer vivre de la mer ?
- Le quotidien du pêcheur saintois : une journée type entre tradition et modernité
- Embarquer avec un pêcheur des Saintes : ce qu’il faut savoir avant de prendre le large
- Les femmes de la mer : quel est le rôle capital des épouses de pêcheurs aux Saintes ?
- La saintoise, une barque unique : quelle est l’histoire de ce bateau qui défie les vagues ?
- Soutenir les producteurs locaux : où acheter du poisson frais en Guadeloupe ?
- La culture maritime créole : pourquoi la Guadeloupe est-elle une île aux cent ports ?
Casier, filet, ou ligne : quelles techniques ancestrales pour remplir la saintoise ?
La pêche aux Saintes, ce n’est pas une science exacte, c’est un art. Chaque jour, on doit lire la mer, deviner où le poisson se cache. Notre principal outil, c’est le casier, cette cage qu’on dépose sur les fonds rocheux pour piéger langoustes et poissons de roche. C’est un travail de patience, il faut connaître les « postes », ces coins que les anciens nous ont montrés. On utilise aussi le filet, surtout pour les bancs de balaous ou de sennes. C’est plus physique, il faut être coordonné pour ne pas emmêler les mailles et encercler le poisson rapidement. Enfin, il y a la pêche à la ligne de fond, pour les plus gros spécimens comme le mérou ou la daurade coryphène. C’est un duel, un contact direct avec la bête.
Ces techniques, on ne les a pas apprises dans les livres. C’est en observant nos pères et nos oncles, en écoutant leurs conseils, qu’on a tout appris. La transmission est orale, c’est un savoir-faire qui se mérite. Le choix de la technique dépend de la saison, de la lune, des courants… C’est cette connaissance fine de l’environnement qui fait la différence entre une barque pleine et une journée de travail pour rien. Notre travail contribue à la pêche durable en Guadeloupe, qui représente environ 3 500 tonnes de poisson chaque année. Ce chiffre peut paraître important, mais derrière, il y a la réalité de chaque pêcheur.
Comme le confie Jean-Marie Vartin, un collègue pêcheur du Moule, le quotidien est un combat. Les prises sont de plus en plus aléatoires et la vente directe aux habitants et aux restaurants devient notre seule bouée de sauvetage pour survivre. Chaque poisson vendu, c’est une petite victoire.
L’avenir de la pêche artisanale : les Saintois peuvent-ils encore espérer vivre de la mer ?
La question nous hante, chaque matin au lever du soleil. La mer a toujours été généreuse, mais aujourd’hui, elle montre des signes de fatigue. On passe plus de temps en mer pour ramener moins de poisson. Les charges, elles, ne diminuent pas : le carburant, l’entretien de la saintoise, le matériel… tout coûte de plus en plus cher. On se sent parfois pris au piège entre le marteau et l’enclume, entre la passion de notre métier et la nécessité de faire bouillir la marmite. Le plus inquiétant, c’est le manque de relève. Quand je regarde autour de moi sur le port, je vois surtout des têtes grises. L’âge médian des marins pêcheurs ici est de 51 ans, et peu de jeunes sont prêts à embrasser une vie de sacrifices comme la nôtre.
Ils préfèrent des métiers plus stables, moins risqués. Et on peut les comprendre. Qui voudrait se lever à 3 heures du matin, risquer sa vie par gros temps, pour un revenu incertain ? C’est tout un pan de notre culture qui risque de disparaître avec notre génération. Sans jeunes pour reprendre les barques, qui transmettra notre savoir ? Qui connaîtra les secrets des fonds marins des Saintes ? C’est une angoisse profonde pour nous tous. Nous ne demandons pas la charité, juste de pouvoir vivre dignement de notre travail et que notre expertise soit reconnue.
Certains, comme Jean-Daniel Barvaut, un pêcheur côtier avec 26 ans d’expérience, le disent sans détour :
« La pêche côtière n’est plus rentable sans mesures de soutien. Si rien n’est fait, la filière artisanale disparaîtra ».
Cette phrase, rapportée par France Antilles, résonne en nous tous comme un avertissement. On se bat pour que ça n’arrive pas, mais le combat est rude et l’avenir, bien incertain.
Le quotidien du pêcheur saintois : une journée type entre tradition et modernité
Une journée de pêcheur ne commence pas quand le soleil se lève, mais bien avant. Vers 3 ou 4 heures du matin, le port est déjà en ébullition. On prépare le matériel, on charge les appâts et la glace, on écoute le dernier bulletin météo. Le bruit des moteurs qui démarrent dans la nuit, c’est la musique de notre quotidien. Une fois en mer, le travail commence vraiment. On navigue vers nos postes de pêche, parfois à plusieurs milles des côtes. C’est là que la modernité s’invite à bord de nos saintoises traditionnelles : le GPS pour retrouver nos casiers immergés, le sondeur pour repérer les bancs de poissons. Ces outils nous font gagner un temps précieux, mais ils ne remplacent pas l’œil du marin.
Le lever de soleil en mer est un spectacle dont on ne se lasse jamais. C’est notre récompense. La matinée est consacrée à la relève des casiers ou au travail sur les filets. C’est un effort physique constant, sous un soleil qui tape de plus en plus fort. Le retour au port, en fin de matinée ou début d’après-midi, marque le début de la deuxième journée. Il faut nettoyer le bateau, réparer le matériel et, surtout, vendre le poisson. C’est un moment crucial, où le contact avec les locaux et les restaurateurs est essentiel.

Comme le montre cette image, notre barque est notre outil, notre maison sur l’eau. C’est un mélange de savoir-faire ancestral et d’adaptations nécessaires. On voit bien cette fusion entre la tradition et la modernité qui définit notre métier aujourd’hui. D’ailleurs, certains d’entre nous s’ouvrent au tourisme pour partager cette passion, comme le propose cette journée type de pêche à La Désirade, qui mêle pêche traditionnelle et découverte culturelle pour les visiteurs.
Embarquer avec un pêcheur des Saintes : ce qu’il faut savoir avant de prendre le large
Partager une journée en mer avec nous, c’est une expérience que beaucoup de visiteurs recherchent. C’est une immersion totale dans notre culture, une façon de voir l’archipel sous un autre angle. Mais attention, ce n’est pas une simple balade en bateau. C’est une journée de travail, et la mer a ses propres règles. Le premier conseil que je donne toujours, c’est de respecter le marin et son bateau. La saintoise est notre outil de travail, chaque chose a sa place et son utilité. Il faut écouter attentivement les consignes de sécurité, ne pas faire de gestes brusques et toujours demander avant de toucher à quoi que ce soit. La sécurité est notre priorité absolue.
Ensuite, il faut être préparé. La mer peut être imprévisible. Le soleil tape fort, les embruns mouillent, et le temps peut changer très vite. Il est essentiel de prévoir une protection solaire efficace, des vêtements qui ne craignent pas l’eau et qui protègent du vent, comme un k-way. Un chapeau et des lunettes de soleil sont indispensables. Le mal de mer peut aussi gâcher la sortie, il vaut mieux prendre ses précautions si on y est sensible. Enfin, il faut venir avec le bon état d’esprit : celui de l’observation et de l’apprentissage. Posez des questions, intéressez-vous à nos techniques, à notre histoire. C’est cet échange qui rend l’expérience riche, pour vous comme pour nous.
Conseils pratiques pour une sortie de pêche réussie
- Prévoir des vêtements adaptés à la mer (lycra, crème solaire biodégradable).
- Apporter serviette, appareil photo, chapeau et k-way en cas de pluie.
- Ne pas oublier masque et tuba pour les activités de snorkeling.
- Respecter les consignes du skipper pour la sécurité.
- S’informer sur les conditions météorologiques avant la sortie.
Les femmes de la mer : quel est le rôle capital des épouses de pêcheurs aux Saintes ?
Derrière chaque pêcheur saintois, il y a une femme. Une épouse, une mère, une sœur. Ce sont les piliers de notre communauté, les piliers de nos entreprises familiales. Leur travail est moins visible, mais il est absolument fondamental. Pendant que nous sommes en mer, ce sont elles qui gèrent tout à terre. Elles s’occupent de la comptabilité, des commandes, des relations avec les clients, qu’il s’agisse des restaurateurs ou des particuliers. Ce sont de véritables chefs d’entreprise, qui assurent la bonne marche de nos petites structures. Sans elles, nous ne serions que des chasseurs-cueilleurs des mers, incapables de transformer le fruit de notre travail en revenu stable.
Leur rôle ne s’arrête pas là. Une fois le poisson débarqué, ce sont souvent elles qui prennent le relais. Elles écaillent, vident, et préparent le poisson pour la vente. Certaines ont même développé des activités de transformation, en préparant des plats cuisinés, des rillettes de la mer ou du poisson fumé, apportant une valeur ajoutée essentielle à nos produits. Elles sont le lien indispensable entre le pêcheur et le consommateur, garantissant la fraîcheur et la qualité de ce qui arrive dans l’assiette. C’est un travail de l’ombre, rarement reconnu à sa juste valeur, mais qui est au cœur de la résilience de notre filière.

Comme le souligne une étude sur le rôle des femmes dans la pêche artisanale, elles sont au centre de la capacité d’adaptation des communautés de pêcheurs face aux défis économiques et sociaux. Leur engagement est total. Keith André, président de la Fédération des pêcheurs artisans de l’océan Indien, l’exprime bien dans Le Journal des Archipels :
« Nous nous engageons à faire la promotion de la pêche soutenable et des ressources que nous avons aujourd’hui ».
Cet engagement est partagé par nos femmes, qui sont les premières avocates d’une pêche durable pour préserver l’avenir.
La saintoise, une barque unique : quelle est l’histoire de ce bateau qui défie les vagues ?
Notre saintoise, on la reconnaît de loin. Avec sa coque effilée, ses couleurs vives et son étrave relevée, elle est taillée pour affronter la mer des Caraïbes. Ce n’est pas un bateau comme les autres, c’est le fruit d’un long héritage, un bijou d’architecture navale adapté à nos conditions spécifiques. Son histoire remonte au XVIIIe siècle, lorsque des charpentiers de marine d’origine bretonne se sont installés aux Saintes. Ils ont apporté leur savoir-faire, mais ils ont su l’adapter, le métisser avec les besoins locaux. Ils ont créé une barque légère, rapide et incroyablement marine, capable de naviguer à la voile comme à l’aviron.
La Petite Villa des Saintes le résume parfaitement :
La saintoise est l’œuvre du savoir-faire exceptionnel des charpentiers de marine d’origine bretonne, parfaitement adaptée aux conditions maritimes des Antilles depuis le XVIIIe siècle.
À l’origine, la saintoise était uniquement propulsée par ses grandes voiles triangulaires. C’était un spectacle de voir ces ballets de voiles dans la baie des Saintes. Puis, dans les années 1960, une révolution a eu lieu. Un certain Alain Foy a eu l’idée de génie d’adapter un moteur hors-bord à la saintoise. Cette innovation a tout changé. La barque a gagné en vitesse, en autonomie et en stabilité, devenant l’outil parfait pour les pêcheurs de toutes les Petites Antilles.

Aujourd’hui, même si le moteur a remplacé la voile pour le travail, l’âme de la saintoise est restée la même. C’est toujours ce même bateau agile et robuste, construit avec passion par des artisans locaux. Elle est le symbole de notre identité, un trait d’union entre notre passé et notre présent. Elle n’est pas juste une barque, elle est le cœur de notre culture maritime.
Soutenir les producteurs locaux : où acheter du poisson frais en Guadeloupe ?
Pour nous, pêcheurs, la vente directe est devenue vitale. C’est la meilleure façon de valoriser notre travail et de garantir un revenu décent. Pour vous, consommateurs ou visiteurs, c’est l’assurance d’avoir un produit d’une fraîcheur incomparable, tout en soutenant l’économie locale. Le meilleur endroit pour acheter notre poisson, c’est directement sur les quais des ports de pêche, au retour des bateaux. À Terre-de-Haut, à Saint-François, à Sainte-Rose ou au Moule, l’ambiance est unique. C’est là que vous pouvez nous rencontrer, échanger, et choisir votre poisson les yeux dans les yeux. On vous conseillera sur les meilleures espèces du jour et sur la façon de les cuisiner.
Les marchés locaux sont également un excellent point de contact. Chaque commune a son marché, où les étals colorés regorgent des trésors de la mer. C’est une immersion dans la vie guadeloupéenne, une explosion de saveurs et d’odeurs. En privilégiant ces circuits courts, vous faites bien plus qu’un simple achat. Vous participez à la préservation de notre métier, vous encouragez une pêche durable et vous maintenez en vie nos petites communautés côtières. C’est un acte citoyen et gourmand à la fois. N’hésitez pas à poser des questions, à vous intéresser à l’origine du poisson. Un pêcheur fier de son travail sera toujours heureux de partager sa passion.
Carnet d’adresses pour soutenir producteurs et artisans locaux en Guadeloupe
- Visiter les marchés locaux pour découvrir fruits, légumes et épices de la région.
- Contacter SICAPAG pour livraison de paniers de légumes frais.
- Découvrir les petits producteurs bio comme l’Exploitation de l’Ilet à Morin.
- Acheter les produits artisanaux de Terra Ô, spécialisés en cosmétiques naturels.
- Rejoindre les circuits courts pour soutenir l’économie locale et durable.
La culture maritime créole : pourquoi la Guadeloupe est-elle une île aux cent ports ?
La Guadeloupe n’est pas une seule île, mais un archipel. Chaque île, chaque commune côtière, a son propre port, son propre visage tourné vers la mer. De la majestueuse marina de Pointe-à-Pitre aux petits abris de pêcheurs de la Côte-sous-le-Vent, la mer est partout. Elle a façonné nos paysages, notre économie, notre histoire et notre identité. Cette culture maritime est un pilier de l’identité créole. Elle est faite de courage, d’entraide et d’une connaissance profonde de l’environnement. On compte plus de 1 036 marins pêcheurs en Guadeloupe, une communauté fière mais confrontée à de nombreux défis, notamment le vieillissement de sa flotte.
Cette culture ne se résume pas à la pêche. Elle est visible dans nos fêtes, comme les célébrations de la Fête des marins, dans notre gastronomie riche en produits de la mer, et dans notre langue créole, parsemée d’expressions issues du monde de la navigation. La mer est notre route, notre garde-manger, notre terrain de jeu et de travail. C’est un lien qui unit toutes les îles de l’archipel, des Saintes à la Désirade, en passant par Marie-Galante et les côtes de Basse-Terre et de Grande-Terre. C’est une richesse immense, un patrimoine immatériel que nous avons le devoir de protéger et de transmettre.
Comme le dit un expert maritime de l’Institut régional de la mer :
La pêche artisanale demeure un pilier culturel à travers les multiples ports de Guadeloupe, un véritable reflet de l’identité créole insulaire.
Cette affirmation souligne à quel point notre métier est bien plus qu’une simple activité économique. Il est le gardien d’une âme, celle de la Guadeloupe maritime.
En visitant la Guadeloupe, prenez le temps de vous arrêter sur un port de pêche, de discuter avec nous. C’est en soutenant notre pêche locale et en vous intéressant à notre histoire que vous nous aiderez à garder cet art de vivre bien vivant.